Le Prince aux yeux brûlés.
Je vais vous raconter une histoire. Elle est belle et terrible, et la leçon qu'elle porte servira à ceux qui l'écouteront avec leur coeur.
Il y a très longtemps de cela....
Il y a très longtemps, vivait dans un royaume par-delà les plus lointaines
montagnes, au coeur d'une forêt sombre et enchantée, une princesse. Une princesse qu'on ne pouvait voir, elle vivait retirée au dernier étage d'une tour immense, blanche et lisse, faite du marbre le plus éclatant qu'on puisse imaginer. Quand le soleil éclairait la vallée, la tour brillait comme un
phare, et la terre autour était brûlée par la lumière qu'elle reflétait. Seul ses trois domestiques dévoués avaient vu son visage. Elle vivait sous la
coupe de son père, un tyran qui terrorisait la région.
Les pauvres paysans travaillaient comme esclaves dans les mines de
cristal sous les montagnes infranchissables qui entouraient la vallée.
Les arbres flétris qui peuplaient la forêt entourant la tour ne donnaient pas de fruits, mais étaient garnis d'épines tranchantes comme des épées. Il y avait eu autrefois des créatures bonnes et aimables qui avaient vécu parmi les arbres, mais la noirceur du seigneur des terres les avaient corrompues, et à présent seuls les grognements de monstres qu'elles étaient devenues résonnaient lugubrement dans le feuillage.
Il arriva qu'un jour, à des milliers de lieues de là, un vieillard demanda asile dans un château. Son habit était usé et déchiré, et ses sandales ne tenaient plus que par quelques fils.Le seigneur de ce château l'accueillit, ce qui étonna fort ses domestiques, habitués qu'ils étaient à la dureté
de leur maître.
II
Réchauffé au coin du feu, le vieil homme entama le récit de ses aventures.
Il parla longuement de cette princesse que nul n'avait jamais vue, et
qui vivait entourée de gardiens terribles. "Si elle est si bien gardée, elle doit être magnifique" se dit le prince, car c'en était un. "Prenez garde,
Monseigneur. Les dangers que vous devrez affronter seront tels que
vous pourriez y perdre votre âme." "Qu'importe, répondit durement le prince.J'irai. Que l'on selle mon meilleur cheval, je pars sur-le-champ.".
Il s'arma de sa meilleure épée,fit polir son bouclier et sella son cheval.Au
milieu de la nuit, on le vit dévaler la colline et partir à l'Est, en direction du soleil qui n'était pas encore levé.
Il chevaucha pendant dix longues années. Partout où il allait, il questionnait
sans relâche. Toujours, on lui disait de continuer vers l'est, là où le soleil se lève. Il affronta dragons,démons des terres inférieures, et tous les trésors qu'il amassait lui servaient à continuer sa route vers l'est.
Un jour, après dix ans de voyage, il arriva au pied d'une montagne gigantesque. Son cheval, épuisé, s'effondra pour ne plus se relever. Il
laissa là son destrier, et après avoir béni la tombe qu'il avait creusé à l'aide de son épée, il se mit à grimper. Il grimpa pendant soixante jours et
soixante nuits.
Le froid hurlant des cimes lui transperça les os, ses mains étaient devenues des scupltures de glace, et il n'osait sortir son bouclier pour se
protéger du vent de peur d'y rester collé. Parvenu au sommet, il sourit. Devant lui s'étendait la vallée semblable en tous points à celle décrite par le
vieillard, il y avait dix longues années de cela. Lors qu'il redescendit l'autre versant, il s'arêta pour se laver près d'une rivière, et fut surpris de constater que sa barbe et ses cheveux étaient devenus blancs.
III
La traversée de la forêt fut encore plus périlleuse que tous ses combats.
Il dût chasser des créatures qu'il n'avait jamais vues, et combattre des monstres dont le plus petit était haut comme trois hommes. Ses vêtements, déchirés par les épines des arbres, partaient en lambeaux, et sa tunique
autrefois si brillante lui servait à présent de linge pour protéger sa tête des rayons brûlants du soleil qui commençait à poindre. Il arriva au pied de
la tour, mourant de soif. Soudain, le soleil, jusque là caché par des nuages, éclaira en plein la tour. Et le marbre blanc rendit la puissance du soleil à l'égal de celui-ci. Le prince regarda la tour, et ses yeux furent brûlés par la
lumière, brûlés par le blanc insoutenable de la demeure de la princesse. Il appela à l'aide, et on le recueillit. Accablé de fatigue et de soif, il s'évanouit.
IV
Lorsqu'il se réveilla, il eut le sentiment de dormir au creux d'un nuage, tant le lit où il se reposait était doux et moelleux. Il entendit une voix
douce et chaude demander de ses nouvelles. "Ce doit être
la princesse se dit-il". il voulut se lever pour voir enfin le visage qui avait hanté ses nuits pendant tant d'années mais réalisa soudain qu'il était devenu aveugle.
"Que vais-je faire? Je ne peux plus revenir en arrière, comment pourrais-je
défendre mon royaume en étant aveugle?". "Ne faites rien, mon
prince" dit la voix. Une main apaisante se posa sur sa tête,
le forçant gentiment à se recoucher."Vous étiez presque mort lorsqu'on vous a recueilli". "Je suis venu vous délivrer, ma princesse. Mais je ne vous suis plus bon à rien, je suis aveugle"."Me délivrer?" dit la voix avec une pointe d'étonnement."Ah...je comprends. Mon père est mort il y a dix ans de cela. Je suis restée ici de mon plein gré, je me sens mieux ici que dans le vaste monde"dit la princesse avec une infinie tristesse.
Le prince sentit qu'on s'asseyait au bord de son lit.Il voulut tendre la main pour toucher le visage de celle qu'il aimait déjà, lorsqu'il sentit un mouvement de recul. "ne partez pas...ma princesse, restez encore, parlez-moi de vos terres." La princesse obéit. Le prince, furtivement passa la main sur son visage, et sentit au bout des doigts un visage doux et aimant. Il sourit, aveugle, et murmura "je savais que ne pouviez être
que belle."
Lorsqu'elle se releva,la princesse eut un sourire qui resplendit comme une rose. Elle se regarda dans le miroir qui ornait sa chambre...et l'image du visage brûlé qui était le sien depuis la seule fois où elle avait voulu sortir au soleil,ne lui parut plus laid, mais beau, parce qu'il était touché par un homme qui l'aimait."
V
Voilà la fin de mon histoire." En disant cela, le vieil homme agrippa son bâton, et se releva. Quelqu'un lui demanda "Et vous savez s'ils ont
vécu heureux?" A ce moment, le vieillard releva son heaume de
cuir, et les gens virent que ses yeux avaient été brûlés par un éclat insoutenable."Non,je ne sais pas...moi arrivé au pied de la Tour, j'ai renoncé,je suis revenu en arrière. Le Prince...qui sait?".
Mordred Aka LegionX, octobre 2007
Dim 13 Jan - 22:48
