Sous le chaud soleil de Cité Soleil, les jeunes, torse nu, s’accroupissent dans un coin, jouent au damier ou se racontent leur misère. Les adultes se débrouillent, non sans peine, ou s’endorment de lassitude, de désespoir. Au bruyant quartier de Norway, Soleil 21, à l’est du plus grand bidonville du pays, la rentrée scolaire reste, pour tous, un sujet fort préoccupant.
Il est presque 13 heures, Joe et Jeannot, deux jeunes dans la vingtaine, conversent. Réciproque misère, prouesses juvéniles et rentrée des classes sont à l’ordre du jour. On est le samedi 9 août. Au quartier dénommé Norway, – Soleil 21 –, le soleil darde ses rayons. Les deux jeunes ignorent la visite de la viceprésidente de l’Espagne, Maria Teresa Fernandez de la Vega, et s’inquiètent plutôt de la présence renforcée des agents de la Police nationale et de ceux de la mission onusienne.
« Ici, raconte Joe, quand les casques bleus ou les babylon patrouillent, ils nous considèrent comme des larrons parce que nous nous rassemblons sous un arbre, sur les balustrades des maisons ou devant une cour. Mais ils ne comprennent pas que nous n’avons pas d’emplois, la seule alternative est de rester chez nous, avec nos enfants, nos frères et sœurs, qui, eux aussi, vont rester chez eux en septembre prochain ».
Et Jeannot d’ajouter : « Écoutez, je suis en rhéto et j’ai 26 ans. Cette année, la rentrée est très incertaine. On n’a pas d’argent et il n’y a pas d’espoir. Mon petit frère d’onze ans ne pourra pas porter l’uniforme de l’école nationale au point où mes parents se trouvent économiquement. Il est probable que j’aille apprendre la maçonnerie pour pallier cette situation ». Sinon, poursuit-il, « asid batri ap fini ak mwen ».
Plus loin, trois jeunes s’installent devant une petite table, pour jouer au damier. Arpentant les ruelles étroites de Norway, entourées de cases en tôles, des jeunes femmes en train de faire la lessive harcèlent tout visiteur. « On a faim ici, ne venez pas nous emmerder ou nous exploiter », lance une dame dans la trentaine. Deux de ses voisines, plus jeunes, questionnent en chœur : « La rentrée est pour demain, qu’avez-vous à nous offrir ? ».
À Cité Soleil, la rentrée des classes est sur toutes les lèvres. Dans les couloirs bétonnés de Norway, des dizaines d’enfant jouent au cache-cache et sourient à la caméra de la photographe qui nous accompagne. « On a faim. On a envie d’aller à l’école », répètent-ils tout souriant.
À quelques mètres de là, des charpentiers achèvent une barque qui servira, disent-ils, pour un voyage à destination des îles voisines ou de Floride ou les conditions de vie sont réputées plus clémentes.
Toutefois, grâce à l’exécution de nombreux projets d’adoquinage des ruelles, Cité Soleil n’est plus cette zone de non-droit aux quartiers marécageux. Encore que sur le littoral, les immondices et les excréments humains continuent de faire la guerre aux riverains et aux pêcheurs, particulièrement aux nez délicats.