Kali.SsBbw Grisettes de Montpellier
Nombre de messages : 6712 Age : 41 Localisation : Rive-Sud de Montréal Date d'inscription : 20/02/2007
| Sujet: Rutebeuf (1230-1285) Mer 18 Avr - 2:07 | |
| La Complainte Rutebeuf
Dieu m'a fait compagnon de Job. Il m'a enlevé d'un seul coup tout ce que j'avais. De l'oeil droit, dont je voyais le mieux, je ne vois pas pour aller mon chemin et me conduire. C'est là une douleur cruelle car à midi il fait nuit obscure pour cet oeil-là. Je n'ai pas tout ce que je veux mais je suis dolent, et m'afflige profondément de ce que je suis dans un abîme, si ne m'en tirent ceux-là qui jusqu'ici m'ont secouru par leur pitié. J'ai le coeur triste et assombri par cette infirmité, car je n'y trouve pas mon gain. Maintenant ma femme a accouché, mon cheval s'est brisé la jambe sur une barrière, et ma nourrice veut de l'argent: elle me tourmente et m'écorche pour nourrir l'enfant, ou il reviendra crier dans mon logis. Que le Seigneur qui le fit naître lui donne subsistance et lui envoie de quoi le soutenir et me donne encore allégement, afin que je puisse m'occuper de lui, que la pauvreté ne lui nuise et qu'il gagne mieux sa vie que je ne fais. Si je m'épouvante, je n'en puis mais, car à cette heure dans ma maison je n'ai pas une douzaine, pas même une brassée de bûches pour la saison. Jamais homme ne fut aussi éperdu que moi, vraiment, car jamais je n'eus moins d'argent. Mon propriétaire m'en réclame pour son logement, et je l'ai presque entièrement vidé, et mes flancs sont nus contre l'hiver, ce qui a changé beaucoup mes vers: ces mots sont pour moi durs et cruels en comparaison de l'an passé à peu que je ne m'affole quand j'y songe. Les maux ne savent pas venir seuls: tout ce qui pouvait m'arriver est arrivé. Que sont devenus mes amis que j'avais tenus si près de moi et tant aimés? Je crois qu'ils sont très clairsemés: ils ne furent pas bien semés et ils n'ont pu lever. De tels amis m'ont mal traité car jamais, tant que Dieu m'a assailli de maint côté, je n'en vis un seul en ma maison: je crois que le vent les a enlevés, l'amour est mort, ce sont amis qu'emporte le vent; il ventait devant ma porte et il les emporta, si bien que nul ne vint me consoler et m'apporter quelque peu du sien. | |
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